Crédits impayés : les acteurs du recouvrement en plein casse-tête réglementaire

Une partie de l'activité de gestion des crédits bancaires non remboursés est soumise depuis fin juin à l'obtention d'un agrément de l'ACPR, le gendarme bancaire. Pourtant, à ce stade, aucune entreprise n'a encore reçu le précieux sésame. Les difficultés se concentrent sur les acteurs de petite taille.

Depuis le 30 juin, en application d’une directive européenne, les spécialistes du recouvrement doivent disposer d’un agrément de l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR). (iStock)

Par Rachel Cotte
Publié le 21 juil. 2024 à 08:30

C’est une réforme censée, à terme, favoriser le développement d’un marché potentiellement très utile aux banques. Mais pour l’heure, les nouvelles règles encadrant l’activité de recouvrement de créances bancaires donnent surtout du fil à retordre aux professionnels du secteur. Depuis le 29 juin, en application d’une directive européenne, les gestionnaires et acheteurs de prêts non performants (NPL dans le jargon bancaire) doivent disposer d’un agrément de l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution(ACPR), le gendarme bancaire français.

Pourtant, au 19 juillet, aucune entreprise n’avait encore reçu le précieux sésame, bien que plusieurs soient en passe de l’obtenir. « Certaines autorisations ont été assorties de conditions suspensives liées principalement à des aspects administratifs », précise l’ACPR. Sans communiquer le nombre exact de dossiers étudiés, l’autorité indique en avoir reçu un peu moins d’une vingtaine à ce stade.

Ce faible nombre peut s’expliquer, d’une part, par le volume relativement restreint d’acteurs concernés : une grande partie des professionnels du recouvrement agissent en effet en tant qu’intermédiaires pour le compte des créanciers d’origine – banques, fournisseurs d’énergie, opérateurs télécoms -, une activité non soumise à l’agrément. Mais selon Thierry Gingembre, président du Syndicat des acteurs du recouvrement (SAR), certaines entreprises ont aussi renoncé à constituer un dossier face à des « contraintes trop importantes ».

Chamboulement majeur

Se retrouver sous la supervision du gendarme financier constitue de fait un chamboulement majeur pour les sociétés concernées. Cela se traduit, inévitablement, par une myriade de nouvelles obligations. Outre la mise en place d’un dispositif de gouvernance solide, l’obtention de l’agrément est soumise au respect de fortes exigences en matière de gestion des risques et de lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme, « ce qui est quelque chose de nouveau pour ces acteurs », souligne Muriel Rigaud, directrice adjointe des autorisations de l’ACPR.

Les entreprises, parfois accusées de mauvaises pratiques à l’égard des emprunteurs -harcèlement téléphonique, facturation de frais indus – seront aussi assujetties à « des obligations en matière de traitement des réclamations, de comportement à l’égard des débiteurs » ou encore à « une obligation de fourniture des reçus à chaque versement »,énumère Muriel Rigaud.

Si les grands acteurs qui dominent la majeure partie du marché français – Intrum, iQeraou encore EOS – ont les moyens humains et financiers de remplir ces conditions, certaines sont « complexes à mettre en place en interne pour les petites et moyennes entreprises », témoigne Thierry Gingembre. Un constat partagé par Nicolas Pellen, senior advisor spécialiste du marché des NPL, pour qui la transposition de la directive « n’est pas totalement adaptée aux spécificités du marché français ». « Certaines exigences engendrent des coûts importants qui peuvent oblitérer la capacité de certains petits acteurs. Elles peuvent créer aussi des barrières à l’entrée qui vont à l’encontre de l’objectif initial de créer un écosystème ouvert, efficient, efficace et transparent »,analyse-t-il.

Assainir le bilan des banques

Il redoute ainsi que cette nouvelle réglementation peine à atteindre son objectif premier, celui d’aider les banques à assainir leurs bilans et de limiter la constitution de stocks importants de créances douteuses.

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Jusqu’à présent, les banques tricolores se sont montrées moins enclines que leurs voisines à s’en délester. Bien qu’elles détiennent le plus gros stock de la zone euro(118 milliards d’euros), leur logique a été, « jusqu’ici, de dire que cela représentait peu dans leur bilan, avec un coût direct limité », poursuit Nicolas Pellen.

Selon la Banque centrale européenne, la part de créances douteuses dans leur bilan s’élevait à 2,31 % au premier trimestre, légèrement au-dessus de la moyenne européenne. Mais, observe Nicolas Pellen, dans une conjoncture plus incertaine, le coût de refinancement des banques augmente, et leur production de prêts ralentit. De quoi les mettre sous pression, et les amener à changer d’approche.

Rachel Cotte